Les responsabilités, la perfection dont tout le corps professoral ne doutait en rien et les déviances recommenceraient bientôt - arrivé à Glendale d’avance pour l’habituelle réunion des Cromwell, Adriel en toute évidence avait fait organiser la première soirée de débauche à laquelle ils auraient droit. Après avoir grassement payé les gens de cet humble établissement - chose courante, à laquelle ils étaient vraisemblablement habitués à voir comment ils avaient pris le fric avec avidité. Le déraillement, le dernier dîner avant de devoir se ranger, avant de ravaler le démon qui règne en lui, alors que l’été tirait à sa fin. Un avenir tout tracé qu’il laisserait pour l’instant, entre les mains de Dionysos, du rouge hors de prix, hors du temps, toujours dans sa coupe. Le bronzage d’un été partagé entre St-Barth et les Hamptons, les cheveux blondis par le soleil, l’air suffisant et un accoutrement à la hauteur de sa classe, Il n’est rien après tout, si pas royal. Il y a Nell, jolie Nell qui est assise sur ses genoux, alors qu’il passe distraitement une main contre sa nuque. Il n’y a rien de plus entre eux que ce qui s’y voit et pourtant ça n’empêche pas les rumeurs d’y aller de bon train. Qu’ils parlent, il n’échangerait la complicité d’Elione pour rien au monde. La fête bat son plein, l’alcool coule à flot et si ses sens sont enivrés, ils ne le sont pas assez pour qu’Adriel ne remarque pas l’intru s’étant faufilé à travers l’océan de Cromwell. Ren, le nez fourré dans une paire de seins, petit con va. C’est que le roi serait presque fier du brun, si ce n’était pas des circonstances, si ce n’était pas qu’ils n’étaient vraisemblablement plus frères.
Parce que non, ils ne le sont plus, frères.
Plus depuis presque quatre mois.
Ren était de toutes les bonnes soirées, il était de celles des Cromwell également à l’époque, mais le jugement du blond avait été officiel; il était tombé de classe sociale et Ren n’avait plus les privilèges de se rendre où bon il en avait envie, surtout pas dans une soirée organisée par yours truly. “Qui a laissé les chiens sortir, hm ?” Paroles glissées dans l’oreille d’Elione, doucereux au possible. Adriel reconnait que c’est d’y aller un peu fort, que de parler d’un ancien meilleur ami ainsi, mais entre l’agacement de le voir se taper l’incruste dans une soirée voulue exclusive et de constater qu’il est entrain d’explorer le fond de gorge de cette pauvre innocente, ça en est trop pour qu’il retienne son découragement. “Il a du cran.” et laisser passer un peu d’admiration au passage. Il n’aurait jamais touché à cette fille, pas même avec un bâton, mais il fallait l’accorder à Ren; ça prend des cojones que de se pointer à la soirée organisée par les anciennes midinettes de son ancien meilleur ami. Parce que non, Adriel n’a jamais levé le petit doigt pour planifier un événement de sa vie - il prend le crédit, s’installe comme le king de son royaume et basta; ramasse les fruits d’un travail bien fait.

un soir comme tant d’autres. deux pouces manucurés qui pianotent à toute allure sur l’écran bleuté de son smartphone et l’amant (plus âgé) qui agite ses mains baladeuses le long de ses cuisses nacrées, fait négligemment remonter la robe vermeille qu’elle a décidé de revêtir pour l’occasion, jusqu’à finir par dérober son unique source de distraction. histoire de se l'accaparer toute entière, de lui rappeler qu’elle a été est sienne, ne fût-ce que quelques heures.
— on se revoit quand ? un autre soir à feindre un plaisir faussement outrancier quand l’alcool a déjà trop enivré l’esprit de celui censé endosser le rôle éphémère d’amant (pansement) d’un soir.
— je ne sais pas, mais je suis arrivée.

quelques crissements de pneus plus tard, le véhicule finit par stationner et la blonde s’empresse de le quitter. un baiser évité, son smartphone récupéré et la voilà seule sur le parking. à la traîne comme toujours.
d’un geste las, elle jette négligemment son portable dans sa pochette et s’empresse de rejoindre les autres à l’intérieur. elle claque quelques bises, attrape un verre (encore plein) d’entre les mains d’une vague connaissance et se laisse happer par l’effervescence qui agite les lieux.
jusqu’à ce qu’elle sente un regard (trop) familier parcourir ses courbes, une oeillade insistante qui l’invite à venir se laisser choir sur des genoux qu’elle ne connaît que trop bien. comme si de rien n’était, presque innocemment.
qui a laissé les chiens sortir, hm ?
ses lèvres charnues se posent contre le bord du verre, son regard, teinté d’une animosité certaine, vient scruter le chien en question et les gorgées d’alcool sont expédiés avec rudesse. il a du cran.
— tu appelles ça du cran ? ironise-t-elle, en souriant amèrement. quand un homme a eu la chance de goûter au foie gras, ça me surprend toujours qu’il puisse se contenter de pâté pour chat.
vipérine convoitise, c’est à croire qu’on ne lui a jamais dit que la jalousie est le plus vil des poisons.

le mot « fête » était comme une douce pastille acidulée envoyant des spasmes dans la langue de ren. dès lors qu'il l'entendait, il perdait pied avec la réalité et ne pensait plus qu'à s'y rendre. la faute à la perte de la génitrice survenue trop tôt (dans des circonstances trop dérangeantes), ren avait ce besoin d'oublier et de s'oublier entre les cuisses de nymphes éphémères, passant dans sa vie en un coup de vent agréable mais de courte durée.
il n'avait pas prêté attention au nom des organisateurs, malgré l'inconscient qui s'était réveillé (mais pas assez) à la mention des groupies d'adriel. en arrivant, par contre, ren n'était pas demeuré dupe : ça ressemblait bien trop au kingsley pour qu'il n'y soit pour rien... en commençant pas se trône absurde qui surplombait l'assemblée. mais peu importait : ren était là, et ren comptait y rester. s'infiltrer dans une fête des cromwell (et d'adriel) était déjà suffisamment compliqué pour ne pas faire marche arrière... heureusement que son charisme lui ouvrait toutes les portes (parce que son portefeuille, lui, n'ouvrait absolument rien. ren avait hérité de la belle gueule plutôt que de la richesse).
pourtant, en voyant son frère (du coin de l'oeil, hors de question de lui montrer de l'intérêt), la colère remonte le long de son échine comme autant de serpents se délectant de l'appel du sang.
comment t'as pu me traiter de la sorte... traître.
il oublie vite la présence du faux frère, lorsque la damoiselle qu'il avait apostrophé et qui semblait tout à fait prête à oublier son statut de falcone (et de rebus de la société), lui attrape la mâchoire pour poser ses lèvres (ou plutôt, son rouge à lèvres vu la tonne de cosmétique qu'elle y a foutu...) sur les siennes.
mais c'est l'arrivée d'elione qui fait sortir le démon. le fait de la voir éclairée par les stroboscopes, dans sa robe trop courte et dans une pose trop suggestive sur les genoux d'adriel, lui fait perdre tout son sang froid. elione qui avait préféré adriel à lui. il repousse la gamine qui s'était pendue à son cou d'un revers de la main (dédaigneux au possible, hérité de ces amis d'enfance qui lui ont planté un couteau dans le dos) et s'avance vers le king & la queen.
- vous vous amusez bien?
il demande, les mâchoires crispées.
- elle est pas ouf, ta soirée.
palabres destinées à adriel qu'il foudroie du regard.
- tu m'avais habitué à mieux.
petit haussement d'épaules avant d'ajouter :
- j'pensais que les cromwell étaient dures à convaincre... mais y'a que des chaudasses ici.
il termine en jetant un coup d’œil appuyé sur elione. il tourne les talons pour retourner se perdre dans la foule, le sang irradiant dans ses tempes et les poings avides de chair.
(l'image d'elione vautrée sur les genoux d'adriel hante son esprit, et le goût métallique de sang explose sur ses papilles gustatives.)