L'odeur d'humus agresse un nez qui ne pourra jamais se vanter d'avoir grandi au contact de la nature ni même d'avoir été abonné des vacances goût fumée âcre de feu de camp. Le pied se prend dans un entrelacs de racines, entraîne un mouvement maladroit qui trébuche, s'accompagne d'un grognement qui n'a aucune forme lexicale et presque aussitôt d'un sentiment de haine profond pour la forêt. Elle a cru. Elle a cru que ça serait marrant.
Fun. Pas un cauchemar dramatique qui la pousse à haïr autant ses pieds qui épousent mieux les aléas des branches et autres racines plutôt qu'un chemin docilement dessiné, que la forêt elle-même qui la tient plus ou moins captive. N'est pas en reste non plus dans sa rancune la quatrième année qui lui a vendu une soirée rubis -et non terreau- sur l'ongle une soirée atypique. Pour être atypique, ça l'est mais certainement pas dans sa conception du mot alors qu'elle doit parfois rappeler aux ronces que sa jupe lui appartient. Tourne en boucle la liste de ceux qu'elle rêverait d'étriper, tout en calculant qu'elle est la première responsable d'avoir cru que ça serait une bonne idée -naïve pour ne pas dire stupide. Que ça serait facile, qu'elle avait juste à mettre une veste, sortir avant le couvre-feu, suivre le chemin, les trouver avec l'alcool rentré par quelqu'un de doué pour ça, et qu'ils resteraient sur la plage jusqu'à l'aube. Faute est de reconnaître, que vouloir couper pour faire plus court n'était pas non plus la décision du siècle. Ca lui offre une nuit dehors, d'un pathétisme bien plus renforcé que l'image romantique au sens premier qu'on pourrait attendre. Elle a contemplé la lune trois seconde trente, pas de quoi la renverser en arrière d'une passion subite qui la pousserait à se trouver une nouvelle religion, et ça n'apaise pas le constat cuisant qu'elle a perdu le nord depuis longtemps, si tant est qu'elle l'ait possédé à un moment donné. Dans la nuit tout craque, tout hulule ou bruisse. Elle a cessé depuis longtemps de se retourner dans l'espoir de voir une ombre humaine, déterminée à s'enfoncer dans la même direction parce que s'il faut passer la nuit là autant se trouver un cap dans l'espoir que le monde soit brutalement binaire et ne lui offre que deux conclusions possibles : tomber sur la cabane ou retrouver la silhouette déchiquetée de Clayesmore sur fond d'ambiance sinistre au cœur de la nuit. Échappée la perspective de boire de l'alcool au frais de quelqu'un d'autre et de rentrer à l'aube sans avoir l'air d'y toucher, dans l'espoir qu'aucune punition ne tombe et bienvenue promesse d'haïr l'humidité qui trouvera à se loger jusque dans la moelle à ne pas en douter, avec pour seul outil de fortune un téléphone qui ne servira pas à grand-chose. Si elle n'était pas la protagoniste, la victime et la dramaturge de l'histoire (pitoyable), elle pourrait (sans doute) trouver un charme follement romantique à l'exacerbation du mystère, de la solitude et du charme morbide de la forêt ; mais si le nez est souvent dans les livres, l'esprit trop tranchant refuse de s'abandonner à ce genre de divagation rêveuse et complètement décrochée de la réalité.
Entre ses récriminations internes et sa respiration, se fait entendre
autre chose. Un bruit non-identifié qui arrête le corps mais propulse l'esprit dans une spirale de réflexions toutes plus décousues les unes que les autres : un animal ? Elle n'est clairement pas prête pour ça. Rien de mignon dans des bestiaux capables de mordre, attaquer ou sucer le sang. Quelqu'un ?
Et si c'était dangereux d'être dehors ? Et Alana ? Les poumons bloqués, l'oreille tendue, les réflexes ne se veulent pas plus cohérents que la pensée lorsqu'ils la poussent à ramasser un bout de bois que la lune aura au moins eu l'amabilité de rendre visible. La détermination branlante et l'arme modeste elle attend, s'imagine déjà se jeter sur
quelque chose quand c'est au final une silhouette tout ce qu'il y a de plus humaine qui se découpe. Interdite de voir qu'elle n'est finalement pas seule à errer de nuit en forêt, elle fixe
le type comme une apparition trompeuse.
"Eh." Les doigts relâchent leur prise comme si de rien n'était. De toute façon elle n'aurait jamais trouvé la violence nécessaire pour frapper alors que l'inquiétude l'aurait sans doute vulgairement paralysé.
"T'es un de ces weirdo qui vouent un culte à la pleine lune ou t'as juste un date un peu chelou ?" Et plutôt crever que de justifier de sa propre présence que subitement elle se voit bien défendre comme
parfaitement normale quand bien même l'argumentaire est à ce stade encore inexistant. Mais elle trouvera, Rory, parce que les histoires c'est jamais compliqué à monter. Même si, vu l'heure, impossible d'espérer rentrer se coucher. Couvre-feu oblige, tout doit être verrouillé depuis un moment. Et malgré l'obscurité, l’œil trouve encore à glisser sur la carrure, cherche à définir dans quelle catégorie le classer. Méfiance :
rangée.
"T'es un poil flippant dans la nuit." Et elle hausse les épaules comme si c'était anodin, mais surtout déjà archivé.
The fear's as bad as falling.- défi corvus:
- passer une nuit en forêt sans matériel