un peu de soleil dans l'eau froide
@yan argyre

l’été touche à sa fin pour le plus grand bonheur de demetra. elle n’a jamais aimé cette saison. de toute façon, demetra n’aime pas grand chose. pour preuve, lister toutes les choses qu’elle haït, nécessiterait sans doute pas moins de l’équivalent de la production annuelle de papier d’une entreprise spécialisée - et en ce moment la mode est au « zéro papier ». la fin de l’été s’accompagne inévitablement d’un retour à clayesmore jamais sans trop de joie. demetra ne risque pas d’avoir des crampes aux joues à force de trop sourire. les vacances en compagnie de ses parents ont été affreuses, elle n’aurait pas pu rêver mieux. cette année encore, elle n’avait pas eu le droit à une chambre individuelle malgré un plaidoyer éloquent. ses parents, notamment sa mère, pensent qu’il est préférable qu’elle se fasse des amis - « le réseau, c’est important demetra. ». son répertoire ne déborde par de contacts, elle l’avoue elle-même et sans aucune honte. toujours est-il qu’elle avait quelques numéros - la qualité à la quantité qu’elle argue à la figure de ses paternels. parmi cette longue liste, donc, figure le numéro de yan argyre. à chaque fois, elle passe par son répertoire pour le contacter alors qu’en réalité elle connaît son numéro par coeur. demetra a une très bonne mémoire. elle tapote sur l’écran de son téléphone portable, quelques mots qui lui paraissent peu convaincants - tu peux trouver mieux, dreepy, pense-t-elle. et c’est presque résignée qu’elle envoie rapidement : « l’été s’achève, j’espère qu’il ne t’a pas réduit au silence. » avant de ranger son téléphone dans la poche arrière de son short en jean, qui à regarder de plus près ne lui appartient pas - celui de siam, à parier. une dernière tenue pour exprimer sa personnalité avant d'endosser l'uniforme obligatoire.

elle observe le sourire niais qui habille le visage de son père. il dépose la dernière valise - enfin la seule valise de demetra - au bout de son lit. « heureusement que tu es là papa. » lâche-t-elle avec une voix presque reconnaissante. il avait tenu à venir l’installer, comme chaque année. sa mère était occupée avec ses deux autres soeurs. demetra était presque certaine que sa mère évitait de se retrouver seule avec elle alors forcément c’était le paternel marshall qui était de corvée. il ne semblait pas vivre cela comme une torture. « c’est normal, ma chérie. » le sourire attendu ne s’esquisse pas sur le visage de demetra. les minutes s'éternisent. il finit par partir, elle lui dit au revoir de loin - à noël prochain.

elle attend exactement dix-huit heures pile pour sortir de sa chambre, après avoir enfilé un pull trop large pour elle. elle quitte discrètement les combles d'artémis vers le bâtiment principal. sur le chemin, elle se fait envahir par un sentiment un peu étrange : une espèce d'excitation latente. c'est suffisamment rare pour le souligner. elle emprunte le couloir réservé au personnel de clayesmore avant d'atteindre le toit. un léger sourire en coin s'affiche sur son visage quand elle aperçoit de dos la silhouette de yan. le sourire s'efface quand elle se rapproche de lui. « t'as triché » lui dit-elle en guise de salutations.

demetra ne sait pas bien à quel moment cela est devenu un rituel mais à chaque rentrée, ils se retrouvent - yan et elle, sur le toit du bâtiment principal. ils commençaient l'année en transgressant les règles. elle ne sait pas comment il fait pour être toujours là en premier. elle le lui avait presque reproché à demi-mot alors il lui avait offert un défi : partir à la même heure d'un endroit précis de l'école. évidemment, demetra n'avait pas respecté les règles. elle pensait vraiment que cette fois, elle allait arriver en première. il semble que c'est raté.

un peu de soleil dans l'eau froide
@demetra marshall

déjà l’envie le prend, l’idée même de sortir du champs de vision, avancer jusqu’à ne plus pouvoir reculer. c’est étrange cette sensation, brûlante d’adrénaline et terrifiante à la fois. parfois, yan se demande ce qui se passe dans la tête du suicidaire lorsque la dernière seconde sonne.
le débat est surréaliste, tout comme les pensées qui font et viennent dans les profondeurs de son inconscient. il n’veut pas mourir non. il a tant à faire sur cette terre et s’en persuade, mais n’empêche, la mort le questionne. impressionnante chimère dont personne ne peut véritablement parler, malgré plusieurs témoignages lus sur ce point, aucune réponse ne lui ai apparue satisfaisante.

nous ferons bien. finit-il par s'avouer intérieurement en haussant les épaules. recule du bord du toit et réfléchit encore en allumant la cigarette salvatrice. une émotion surfaite l’envahit dans tout son corps, bande ses muscles pourtant lasses de redécouvrir la sensation de hauteur. non, c’est un nouveau sentiment. un renouveau. et pourtant une habitude troublée, le faisant déjà languir.
yan est placé là depuis trop longtemps et le secret est justement là, la patience sujette à l’éternelle recommencement qui le lie à cette relation depuis bientôt quatre ans. ça lui ai étrange seulement, de mettre autant d’espoir dans ce rituel pour le moins basique, des retrouvailles, chaque année inspirées par une seule et même personne.  

dans l'après-midi, il avait reçu un message de la part de demetra. une stychotomie simple et un espoir caché sous la couche de creepy do dont elle peut faire preuve. avec elle, il est sûr de danser entre les flammes. aucun calcul possible et ce challenge ne lui a jamais déplu, en redemande à maintes reprises sous couvert d'un vide social à combler. elle est toujours là, présente elle aussi à leurs rendez-vous, même s'il n'a jamais réellement su si elle l'apprécie vraiment. simplement.

sa cigarette s'écrase sur le sol alors que la porte se fait entendre. le bruit du gravier dévalé par la fine silhouette comme mélodie d'attente. attendre, jusqu'à ce qu'elle arrive vers lui. jusqu'à ce que sa bouche s'ouvre pour déposer dans l'air le fameux reproche.
bien sûr qu’il triche, c’est évident. et pour son plus grand bonheur sans que jamais il ne s’en vante.

alors yan sourit. ricane intérieurement avant de tourner son regard vers sa voisine en répondant. « je crois que tu ne le sauras jamais »  
à part peut-être si une journée elle décide de camper ici, ce qui serait probablement efficace. mais il préfère de loin faire planer le doute, peut-être lui faire croire à des super-pouvoirs dont elle pourrait se moquer. histoire de voir un léger rictus apparaître sur son visage. en attendant, yan scrute sa partenaire pour y chercher toute sorte de changement car parfois durant l'été, tout change.

« même pas une nouvelle coupe de cheveux ? » fit-il la mine presque déçu. il pensait pourtant tout l'inverse, rien ne lui allait mieux que le naturel arboré par ses traits mutins. contraste parfait avec ce caractère si unique.
en terminant sa phrase, il s'est approché en tendant ses doigts vers une mèche de sa chevelure, mais la distance reste convenable. « un peu de rouge sur les pointes.. » yan reste aussi stoïque que demetra malgré l'évidente taquinerie propre à leurs échanges. le gamin n'évince pas l'idée d'un retrait, de ces quelques pas en arrière attendus d'elle dans les secondes à suivre.

un peu de soleil dans l'eau froide
@yan argyre

ses yeux captent le sourire de yan qu’elle détaille rapidement. demetra a commencé cette drôle de manie invisible plus tôt dans l’année, au retour du printemps. ce nouveau mécanisme n’est pas conscient et de façon surprenante, il s’est mis en place très rapidement. demetra marshall, serait-elle en train de montrer une légère faiblesse face à des sourires qui sont, à première vue, tout à fait anodins ? vraisemblablement. et elle ne laisse rien paraître préférant froncer les sourcils. elle est persuadée qu’il a triché bien qu’elle ne possède aucune preuve tangible qu’elle pourrait offrir sur un plateau. « rien de plus satisfaisant que de vivre dans l’ignorance. » finit-elle par répondre. demetra est loin d’être une personne ignorante peut-être trop consciente - le juste milieu ne semble jamais être considéré comme une option. les yeux de demetra plonge dans le regard de yan se laissant observer, détailler sans y montrer aucun signe de gêne. ses joues ne se rosit pas, un sourire en coin n’apparaît pas. demetra paraît impassible au moins en apparence. la déception survole les traits de son ami, ça pourrait presque la faire sourire. demetra n’a jamais changé de coupes, une fois siam avait eu la lubie de vouloir lui lisser les cheveux. elle s’était laissée faire de manière inattendue. le résultat avait fait jaser pendant plus de deux heures. à la suite, elle s’était faite la promesse de ne plus jamais laisser sa soeur s’approchait de ses cheveux.

les boucles sont volumineuses et sont ce que l’on remarque en premier chez demetra. la chevelure blonde laisse dans les esprits un souvenir presque systématique avant de se faire surpasser par les sarcasmes permanents. à chaque retour de vacances d’été, on peut - si l’on est observateur - remarquer l’éclaircissement systématique de ses cheveux. le soleil laisse des traces qui s’effaceront un peu avant l’hiver. cette année encore, cela n’avait pas loupé. les pointes sont d’une blondeur camomille. à la tentative d’approche de yan vers son visage, demetra émet un léger recul presque instinctif ne lui laissant pas la chance d’aller jusqu’au bout de son geste. demetra n’a jamais apprécié les contacts physiques. et subtilement, à sa crispation habituelle se mêle une sensation nouvelle lui provoquant comme un semblant de chair de poule. rapidement, elle place sa mèche rebelle derrière son oreille avant de frotter son avant-bras. « pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été en enfer… » dit-elle en faisant référence plus à son séjour dans ce summer camp apparemment réputé et choisit soigneusement par sa mère qu’à la virée familiale en camping avec la joyeuse troupe marshall. « … et comme tu le vois, j'en suis revenue. » ironise-t-elle. « peut-être que je suis le nouvel antéchrist. »

« et toi, de quel enfer reviens-tu ? » depuis son enfance, demetra a toujours eu du mal à se faire des amis préférant la solitude et en grandissant la lecture d’un bouquin qu’une partie de trappe-trappe. avec grande difficulté, elle a tout de même réussi à se lier d’amitié avec des personnes inconnues devenues pour certains ce que l’on nomme des amis. pour autant, demetra n’entretient pas les relations acquises de façon assidue et volontaire. de yan, elle n’avait pas eu tant de nouvelles que ça parce qu’elle n’en avait pas donnée plus que ça. classic demetra. et encore, yan crée chez demetra un réel intérêt que l'on avait rarement vu chez elle. est-ce que ce comportement finalement toujours un peu distant que vient créer les congés avaient un impact sur yan ? elle n'en avait aucune idée, puisqu'elle ne s'était jamais questionnée sur le sujet. là où il n'y avait pas de questions, il ne pouvait y avoir de réponses.

un peu de soleil dans l'eau froide
@demetra marshall

ce n’était pas sans une petite appréhension qu’il l’avait attendu là ces quelques heures. un été peut parfois changer bien plus qu’une coupe de cheveux ou l’impression sur le monde. un chamboulement imprévu, un divorce parentale douloureux ou même pire, un amour de vacance dont le cœur se peut se réparer… tant de paramètres que loin des autres, nous ne pouvons gérer que depuis des suppositions hasardeuses.
yan a rarement peur du changement, mais il se trouve bien incapable d’ouvrir sa bulle d’émotion à n’importe qui. ce seul refuge imaginaire sur lequel surf la vague de ses mélancolies ; elle lui est imprégnée au visage, mais peu ont eu la chance d’avoir une véritable explication sur la raison de ses tourments. il n’est souvent qu’une façade malgré la vérité dans ses mots, l’on ressent en lui des vibrations étranges et innommables pouvant aussi bien mettre l’autre mal à l’aise qu’admiratif.

c’est au départ, ce fameux message reçu quelques minutes auparavant qui la rassuré ou tout du moins, apaisé. demetra ne l’avait pas oublié et ce simple rebondissement avait eu pour effet d’augmenter la pression sanguine tout autour de son palpitant. rien qui ne puisse l’alerter sur un quelconque sentiment, mais la simple chaleur d’une pensée pour lui était suffisante.
alors devant elle, yan est avenant par mégarde, sensible aux quelques mots échangés et comme prévu, elle se défait rapidement de sa joug sans pour autant lui en vouloir. elle continue sa phrase, discute en plaisantant, ce qui n’efface pas son sourire du visage bien au contraire. ses mains retournent gratter le fond de ses poches de pantalon, son buste se  retourne de trois-quarts face au vide situé à quelques pas et annonce « tu viens m’annoncer la fin du monde, c’est ça ? » dommage « j’avais d’autres projets ».

« j’étais au plus près de dieu figure-toi, une  journée à sillonner les ruelles du Vatican en ayant l’impression d’être le pêché incarné » ce n’était évidemment qu’une halte du voyage, mais l’expérience avait été gratifiante pour son âme à l’affut du moindre savoir; une vrai farce, qu’il pourrait conter dans une nouvelle pièce de théâtre à l’avenir.
« mais, nous étions sur la côté italienne la plupart du temps, et toi ? » ces quelques secondes entre question et réponse lui firent imaginer tout un tas de destination auxquelles elle aurait pu se rendre. de quels genres de voyages rêvait-elle ? avait-elle eu son mot à dire ?  

un peu de soleil dans l'eau froide
@yan argyre

cette rencontre sur le toit est l’une des choses qui rend le retour à clayesmore moins terrible. peut-être que ces dernières semaines, elle y avait pensé à sa retrouvaille avec yan. peut-être qu’au fond du colorado, dans son camp pour ado, elle y avait pensé à yan.

c’était une certitude, qu’elle y avait pensé à yan - un peu trop vraisemblablement.

et à ce moment précis, demetra est envahie par une sensation de plénitude bercée d’une douce légèreté qu’elle ressent jusqu’au bout des doigts. et rien ne transparaît sur son visage. demetra ne semble jamais différente d’une année à l’autre. pourtant, elle n’échappe pas au temps qui passe. profite, ma chérie, c’est la meilleure partie de ta vie lui répète sans cesse sa grand-mère tel un disque déjà trop vieux dont la piste a été si usée qu’elle en reste bloquée. elle n’avait jamais pris cette remarque au sérieux. si c’était ça la meilleure partie de sa vie, vivement la suite.

« j’en ai bien peur. » répond-elle, le visage feignant la tristesse. lui, il ne semble pas partant pour une fin du monde là tout de suite. dommage. « j’avais apporté de la vodka pour fêter ça. » elle sort ça de nul part, cacher sous son pull. « et quels sont ces projets ? » demande-t-elle. demetra parfois pose des questions sans pour autant être intéressée par les réponses. toutefois, quand il s’agissait de yan, elle écoutait les réponses avec grande attention et elle était forte intéressée de connaître ce qu’il avait en tête. quant à demetra, le mot projet semblait de pas signifier grand chose. à croire qu’elle en avait pas de projets, c’est ce qu’elle fait croire à tout le monde : ses parents, ses professeurs, tous ces autres. pourtant, elle est encore là, filière littéraire. les notes semblent aléatoires pourtant les examens sont souvent réussis. elle ne s’en vante pas de ses notes. les bonnes notes ne lui font ni chaud ni froid et les mauvaises font rires.

demetra s’amuse à faire croire à tout le monde qu’elle préfère rater sa vie, qu’elle n’est pas en mesure aujourd’hui de choisir ce qu’elle voudra faire plus tard. on l’a déjà surprise demetra à émettre un semblant de projet qu’elle s’est vite empressé de réduire à néant. comme si elle avait une réputation à protéger - laissez moi rire.

« terrible » rebondit-elle au mot vatican et péché incarné. il était donc en italie, c’est beau l’italie. demetra en a un souvenir rapide, un voyage familial notamment à rome - pour l’histoire. « j’aurais préféré partagé ton enfer. » avoue-t-elle à demi-mot avant d’enchaîner très rapidement sur une explication loin d’être exhaustive de son été. « cette année, mon père a décidé d’emmener la famille camper - un échec monumental. je ne remercierais jamais la pluie pour sa participation active à ce voyage. » la plus jeune soeur avait fait des caprices à la chaîne, plus occupée à tourner des tiktoks qu’à lever la tête pour regarder les paysages. « et puis j’ai eu la joie comme chaque année d’aller dans un super camp pour adolescents décérébrés dans le colorado. » rien qu’en y repensant, elle en a la nausée. « j’ai décidé que c’était le moment parfait pour commencer la lecture de à la recherche du temps perdu de proust »

une des premières passion de demetra, qui se perçoit, est la littérature. passion livre ancien. demetra a sans doute développé son amour pour les livres grâce à son père. sociologue, il a avec les années su se constituer une bibliothèque colossale. elle s’y est perdue dans cette bibliothèque à lire et à lire encore. elle n’avait jamais lu proust - elle n’en avait pas l’intention de le faire si vite. « d’ailleurs, j’ai quelque chose pour toi » elle s’empresse de fouiller dans sa poche pour en sortir un pins abominable représentant une salamandre symbole semble-t-il de l’état du colorado. « une preuve de mon passage en enfer. » c’est étonnant, ce cadeau. demetra ne fait jamais de cadeau à moins qu’elle en ait l’obligation de type anniversaire des parents, noël. non, qu’elle offre un cadeau sans aucune raison, c'est très étrange.