MISSING PERSON
-a study of the "gone girl" case

Kennedy Klein

age: 19.
gender: female.
height: 163 cm.
hair: light brown.
unique sign: cursed.

last seen: [redacted]


'you gave me my very first gun'
'my eye is my sanctuary'

Il y avait des tâches brunes sous ses paupières, des silhouettes de feuilles, des ombres chinoises se déposant sur ses pomettes. Il y avait le doux soleil d'alabama, un peu différent des autres, un peu plus chaud et brillant qui aimait se lover dans tous les recoins. Sous les aisselles, la sueur ruisselant le long de la nuque, sous les jupes, entre ses doigts et la table du petit-déjeuner dans la cuisine jaune.
Elle se souvenait surtout de ses cris féroces, s'envolant telles des hirondelles les soirs d'été, et ses genoux écorchés par les buissons. Des cailloux dans ses poches, les godasses bousillées et la tête emmêlée. L'odeur des pancakes le samedi matin et la robe rose poudrée du sunday morning.
Et sa première pensée fut que les arbres avaient de drôles de forme et leur feuillage ressemblait à des paillettes vertes dispersées autour des branches. Puis qu'elle aimait tout mais surtout la Dolly assise des vinyles de Papa qu'elle imitait sur scène, une perruque blonde sur son petit crâne.
Pretty Kenny.
Elle avait la country dans les artères et l'accent qui sonnait comme les cordes d'une guitare. Les "A" qui s'arrondissaient dans la bouche, les mots qui s'allongeaient, dansaient, un swing à en faire pâlir les écoles de grammaire, une nonchalance chaleureuse qui s'accrochait aux joues.  

Peut-être que l'astre doré l'avait incendié. Ou lui avait brûlé la cervelle indéfiniment car son front brillait et les regards s'y collaient avec terreur et douleur. Avec admiration et l'amour des jours d'été. Quand Kenny montait sur l'estrade avec ses petits talons en glitters bleus, ils cliquaient comme un fusil. Miss America.
Et les fusils sonnaient comme des craquements d'os.

Il y avait aussi dans ses souvenirs le halètement s'échouant à ses pieds. Se déversant par battements de coeur affaibli contre sa figure. Le regard vitreux d'une bête dans lequel elle se déclinait sous différentes formes. Derrière le filtre de l'effroi parraissait-elle gigantesque du haut de ses dix ans. Deer Hunting Season, on y réservait ses meilleures balles et s'attardait sur l'odeur de fer émanant des plaies. Le besoin de posséder, d'implanter ses tirs et de caresser de près la fougue de la terre. Elle avait, dans les chasses, côtoyée la mort et enlassée la brutalité de l'art meurtrier. Elle s'était immiscée dans des terres qui ne lui appartenaient pas, dans des dimensions sauvages qui ne lui donnaient aucun droit, avait participé à des coups d'état et des pertes de casquettes dans les bois. Go on, let's take a picture. l'adrénaline hérissant ses poils, pompant dans ses membres, la fascination d'une morbidité trouvée dans la beauté, Kenny se plaçait là où son père le voulait.
Look at you big girl, your first kill.
L'image ornait encore la commode de la salle à manger.


'because i'm a mirrorball'
'i'll show you every version of yourself tonight'

Elle aimait l'eau. La manière dont les rayons de soleil pleuvaient sur la surface du lac et formaient des petites tâches blanches. On aurait dit qu'un verre de lait avait été renversé. Puis la façon dont les gouttes s'écoulant de la douche glissaient sur ses mains, tels de minuscules serpents se promenant sous sa peau, puis disparaissaient le long de son bras.
tw: violence policière, racisme
Elle attirait les lumières, Kenny. Et les visages effacés. Les murmures entre deux portes, la fenêtre se claquant soudainement, la froideur d'un toucher volage. Des chants lointains, revenant par vagues, comme des lamentations et des pleurs.
Puis les coups de feu et le rouge. Et le bleu, des sirènes de police griffant ses traits. Comme dans un manège, les couleurs revenaient la hanter dans cette nuit noire où le voisinage s'était assemblé dans un rituel improvisé. Devant ses yeux globuleux la scène se déroulait cependant il était impossible d'y distinguer les protagonistes des antagonistes. Tout se mêlait et la violence des hurlements repoussait la pièce jusqu'à son infinité, jusqu'à un temps abstrait et millénaire où la brutalité résidait en un rocher et un crâne démonté. This is what happens to th*gs. feulait son père, semblable à un chat qu'on avait caressé à contre-courant de ses poils. Les policiers se groupaient, telle une meute de loups, emprisonnant entre leur corps, l'homme noir à terre. La suburb avait toujours été plutôt tranquille, si ce n'est les quelques rumeurs et les avis de recherche volants, et cet évènement avait marqué de cramoisi la route principale. Une tâche sombre qui s'effacerait avec les années jusqu'à disparaitre des mémoires et des cavités dentaires. Jusqu'à ce qu'on ne croque plus, qu'on ne se nourrisse plus des restes de ce drame étrange et pourtant si naturel.
Kenny avait laissé un baillement s'échapper entre le crime légal et sa personne. Parce que c'est ce qui arrivait à toutes ces racailles, parce que Papa le disait.

Mais lorsque, durant la messe du dimanche, elle se retournait pour appercevoir les personnes noires dehors. Pour voir les larmes dans leurs yeux et leur départ. Le paternel répliquait en tournant de nouveau sa petite tête brune vers le pasteur.
Il n'y avait rien à voir de l'autre côté de leur tragédie.


'please picture me in the trees'
'i've reached my peak at seven'

A Alabama, les étés se faisaient languissants. Langoureux dans leur chaleur et terribles dans leurs tempêtes. Lorsque la pluie battait, les vitres se fermaient et les gens s'enterraient vivants dans leurs boites d'allumettes. Les lueurs derrière les lucarnes s'éclipsaient, vibraient, puis se cachaient sous les meubles.
La pluie, elle, continuait à creuser. A gratter aux portes et tirant ses doigts longilignes sous ces dernières, s'invitait dans les murs et les chairs. Dans cette infernale possession, les poumons s'étouffaient. Et Kenny ouvrait grand les fenêtres de sa chambre, invitant le vent à emportait avec lui la petite Shelby. La bourrasque, compressée par sa force, débarquait avec engouement et inspectait toutes les feuilles trainant sur les bureaux. Se faufilait sous les draps. Passait ses mains dans les cheveux en dansant, en chantant. Dans leur pièce à coucher partagée, au second étage de la maison, les enfants vivaient leur wuthering heights.


Elle se souvenait également des dires des gamins et des yeux apeurés des parents, de ces papiers qui remplissaient les bordures des champs dépictant l'image d'un homme en chemise jaune et salopette bleu. On disait qu'il trainait derrière les lignes de maïs et entrainait, par le bras, les wandering mômes à leur perte.
Une légende urbaine pour certains navigant beaucoup trop facilement entre la réalité et le mensonge. Peut-être était-il le responsable dans la disparition soudaine de Shelby Keith, alors âgée de dix ans (trois quarts). Ou peut-être était-ce finalement le micro-ouragan dans leur chambre qui l'avait dérobé.
Il n'y avait plus rien après cela.
Après les vingt-quatre heures éveillée, les lampes de torches découpant les bois et cultures de leur faisceau, et les multiples appels, répétitifs.
Une léthargie.  
C'était regarder son repas refroidir devant ses yeux sans y toucher, c'était laisser les pots de peinture se solidifier, et voir les rideaux voler tels des robes de mariés bouffantes. C'était accepter que la poussière se déposait dans tous les recoins et les concours de mini miss perdaient de leur éclat.
A sa poitrine, le pendentif en forme de coeur battait encore. Comme si la photographie cachait à l'intérieur continuait de valser et sauter sur les lits.
Pourtant il n'y avait rien. Grand-père continuait à dire que les UFO avaient exploité l'enfance de Shelby comme ils avaient embarqué Grand-mère quelques années plus tôt. Les médias s'interrogeaient, la presse débarquait dans la tranquille suburb blanche, et les flashs clignotaient. Le phénomène était vide. Vide lorsque, malgré les personnes intéressées, l'abrutissement était plus grand. Puis le père fut suspecté par les autorités. Puis la mère développa un cancer. Puis le père fut relâché et soudainement détenteur d'argent.
tw: p*dopornographie
Il y avait une odeur de cadavre dans la maison. Dans les journaux. Dans le cercueil, si léger, qu'on enterra avec l'espoir d'oublier cet espace, ce trou noir qui résidait encore entre les quatres murs et bouffait les mouches.
Et lorsqu'un agent du FBI présenta un catalogue de jeunes filles dénudées à la mère, les sanglots transpercèrent le plâtre et le battant de Kenny. Parce qu'elle savait, Kenny, dans l'embrasure de la porte. Elle était presque certaine d'avoir reconnu, au loin, les mêmes boucles blondes et le charme du sud qu'elle.
"Heathcliff, it's me, I'm Cathy
I've come home, I'm so cold
Let me in through your window"